Gestion de risque et probabilité

Voici un excellent texte qui illustre très bien l’importance des probabilités à l’intérieur d’une structure récurrente de «gestion de risque». Ceci s’applique très bien au monde de l’investissement, peu importe le type de «Trading» que vous pratiquez, à méditer...
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Faites-vous la même erreur que LeBron James ?
Quand on réalise un bon coup, on jubile. On jubile d'autant plus qu'on a pris des risques, en toute conscience, et on se félicite que cela ait bien tourné pour nous. On se dit alors que les dieux – ou la chance, si vous préférez – ont été bienveillants à notre égard. 
 
Bien. Mais, vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il n'est pas très sage de s'en remettre aux dieux : un jour, la chance tourne en notre faveur, mais le lendemain, elle peut tout aussi bien tourner en notre défaveur. Pourquoi ? Parce qu'à force de prendre de plus en plus de risques, il est logique de finir par échouer...

D'où l'interrogation existentielle suivante : quand prenons-nous trop de risques ? Impossible à dire avec exactitude, me direz-vous. Eh bien, je ne suis pas aussi catégorique que vous. Pas depuis que je suis tombé sur une étude intitulée Misperception of risk and incentives by experienced agents.

Cette étude est signée par : Matthew Goldman, doctorant en économie à l'Université de Californie à San Diego (États-Unis) ; et Justin Rao, chercheur en économie chez Microsoft Research à New York (États-Unis). Elle montre quelque chose de fascinant : nous commettons tous une grossière erreur face à la prise de risque lorsque nous sommes en position avantageuse. À l'image des équipes de la NBA, et même de l'un des meilleurs joueurs de basket de tous les temps, LeBron James. Une erreur pourtant aisée à corriger…

Les deux chercheurs se sont demandé pourquoi les joueurs de basket de la NBA tentaient parfois des paniers à 2 points (le tireur se trouve alors à proximité du panier, dans la zone colorée au sol), parfois des paniers à 3 points (le tireur se trouve alors loin du panier, hors de la zone colorée au sol). Y a-t-il une logique derrière le choix entre un tir relativement sûr (2 points) et entre un tir plus incertain (3 points) ?

Pour s'en faire une idée, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déceler la meilleure stratégie à adopter pour une équipe confrontée à ce dilemme permanent. Ce modèle de calcul reposait essentiellement sur deux facteurs :

> Écart de points. Le choix dépend de l'écart de points entre les deux équipes au moment présent. C'est-à-dire que si le tireur qui doit faire le choix fait partie de l'équipe qui a le moins de points, il y a plus de chances qu'il soit tenté par un tir à 3 points plutôt que par un tir à 2 points.

> Pression du temps. Le choix du tireur dépend également du temps de jeu qu'il reste à jouer. C'est-à-dire qu'à partir du moment où il ne reste plus qu'un tiers du temps à jouer de la période de jeu, il devient plus tentant de gagner 3 points que 2 points.

Certains d'entre vous que le choix dépend surtout du talent du tireur : s'il est réputé pour la précision de ses tirs à 3 points, il va tenter sa chance plus souvent que ceux qui le sont moins. Et qu'il est donc curieux que les deux chercheurs n'aient pas tenu compte de cela dans leur modèle de calcul.

L'explication est, en fait, évidente : ce facteur-là n'est pas ici pertinent, car ce qui est étudié est le comportement global de l'équipe, non pas celui de certains individus; à cela s'ajoute le fait que le choix d'un tir à 3 ou 2 points peut être considéré comme un choix collectif, et non purement individuel (l'équipe monte au panier adverse avec l'idée, dès le départ, d'inscrire 3 points au lieu de 2, et s'organise donc en ce sens pour que son meilleur tireur soit idéalement placé pour cela).

Bon. Une fois le modèle de calcul concocté, les deux chercheurs l'ont mis à l'épreuve et regardé ce qui se produisait. Résultat? La meilleure stratégie est la suivante :

> Avantage à la prudence. En début de match, le mieux est de prendre peu de risques, et donc de tenter la plupart du temps des tirs à 2 points. Car les équipes sont à égalité, ou n'ont qu'un faible écart de points.

> Des risques sous la pression du temps. La donne change dès lors que les deux tiers du temps de la période de jeu sont écoulés. L'équipe qui mène au score a alors tout intérêt à continuer de faire preuve de prudence, en tentant encore et toujours des tirs à 2 points. En revanche, l'équipe qui est menée au score a tout intérêt à prendre de plus en plus de risques, histoire de vite rattraper son retard.

Puis, les deux chercheurs ont regardé l'attitude des équipes de la NBA dans de tels cas de figure, et ce, durant quatre saisons de compétition. Ce qu'ils ont ainsi mis au jour les a sciés :

> Des risques logiques sous la pression du temps. Les équipes qui sont menées au score prennent bel et bien de plus en plus de risques, sous la pression du temps. À partir du moment où elles sentent qu'il n'y a plus beaucoup de temps pour revenir au score, elles tentent de plus en plus souvent des tirs à 3 points.

> Des risques inconsidérés sous la pression du temps. La équipes qui mènent au score – et c'est là une grande surprise! – prennent, elles aussi, de plus en plus de risques, sous la pression du temps. Dès qu'elles sentent qu'il ne reste plus beaucoup de temps à jouer, elles cherchent davantage à gagner 3 points. En conséquence, elles empochent moins de points que si elles s'étaient contentées d'être prudentes, en continuant de surtout miser sur des tirs à 2 points.

Étonnant, n'est-ce pas ? J'ai eu la curiosité de regarder si cela se vérifiait à l'échelle individuelle, en choisissant celui que tous les fans de basket idolâtrent en ce moment, LeBron James. 


Voici ce que j'ai trouvé :

> Du moins au plus. L'une des saisons où LeBron James a eu le moins de succès aux tirs à 3 points est aussi celle où il a marqué en moyenne le plus de points par match. C'était en 2007-2008, au sein des Cavaliers de Cleveland. Son pourcentage de réussite aux tirs à 3 points avait été de 31,5% (quand même!). Et son nombre moyen de points par match, 30 points.

> Du plus au moins. La saison où LeBron James a eu le plus de succès aux tirs à 3 points est aussi celle où il a marqué en moyenne le moins de points par match. C'était en 2012-2013, au sein des Heat de Miami. Son pourcentage de réussite aux tirs à 3 points avait été de 40,6%. Et son nombre moyen de points par match, 26,8 points.

Qu'est-ce que ça signifie? Que moins LeBron James est bon aux tirs à 3 points, plus il marque de points durant un match; et inversement. Qu'il aurait donc tout intérêt à se montrer plus prudent – ou disons, moins flamboyant – quand son équipe mène, car cela lui permettrait d'accroître davantage l'avance de celle-ci.

Maintenant, que retenir de tout ça pour qui se pique de management ? Une chose fort simple, à mon avis :

> La tortue plutôt que le lièvre.
À l'image des équipes de la NBA, nous avons tous tendance à prendre des risques inconsidérés dès lors que nous pensons contrôler la situation. Et cela joue en notre défaveur. Comment corriger le tir ? En se forçant à demeurer prudent dès lors que nous sentons que nous sommes en situation avantageuse. Oui, en se forçant, car nous avons pris la fâcheuse habitude de faire le contraire, de prendre des risques inutiles dès lors que nous avons un regain de confiance. Bref, mieux vaut agir en tortue plutôt qu'en lièvre.

En passant, le tragédien grec Euripide a dit dans Les suppliantes : «Le vrai courage, c'est la prudence».

Lien du texte original : Cliquez iCi

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